Brésil médiéval – Medieval Brazil

Si je vous dis « brésil », certains d’entre vous penseront aux plages de Copacabana ou bien aux fesses plantureuses de belles brésiliennes, d’autres au football, d’autres encore à la forêt amazonienne et ceux qui connaissent un peu les teintures végétales penseront au « Bois du Brésil », le pernambouc ou d’autres bois tinctoriaux du Nouveau Monde.
Il se trouve que ce n’est pas le bois qu’on a nommé d’après le pays, mais bien le pays qu’on a nommé d’après un bois tinctorial. Il s’agit en fait du bois brésil asiatique, le bois de sappan (Caesalpinia sappan), importé en Europe dès le XIème siècle, contrairement à son cousin américain qui doit attendre la Renaissance pour arriver en masse en Europe! Le pernambouc, Caesalpinia echinata, est de la même famille botanique des Caesalpinacées.

If I tell you « brazil », some of you will think of Copacabana beaches or the curvy bums of beautiful Brazilian women, some others of football or the Amazonian forest and those knowing a bit about natural dyes will think of the « Brazilwood » or other dye woods of the New world.
It happens that it wasn’t the wood that was named after the country but the country that was named after a dye-wood: it comes from the Asian « brazilwood », the sappanwood, Caesalpinia sappan, known in Europe from the XIth century onward, whether the American « brazilwood » (Caesalpinia echinata), a close cousin of sappan, will have to wait the Renaissance to be imported massively in Europe!


Il s’agit d’un arbre qui pousse notamment dans le Sud-est asiatique, de l’Inde à la Chine. Son nom de brésil (ou brasile) se réfère à la couleur de « braise » que donne son principal principe tinctorial, la braziline, une molécule proche chimiquement de l’hématoxyline du bois de campêche (indigène du Nouveau Monde et qui sera à l’origine de la mode des noirs bourgeois du XIXème siècle). Au XIIIème siècle, Marco Polo raconte sa joie de découvrir les contrées où pousse le bois de braise, dans ses explorations du SE asiatique. Le brésil, en tout cas quand on parle du bois de sappan, est donc bel et bien une teinture du Moyen-Age en Europe!
Il y a quelques temps j’ai vu passer quelque part l’information qu’on n’en trouvait plus et que l’espèce était protégée mais après vérification sur la base de données de l’UICN et du CITES, la plante n’est pas considérée comme en danger, alors que le pernambouc, C. echinata est en annexe II CITES (sous surveillance et au commerce partiellement reglementé).

Sappan is a tree growing in SE-Asia, from India to China. Its name brazil or brasile is referring to the color of embers that its main dye compound, brazilin, produces, a molecule closely related to haematoxylin found in logwood (being indigenous to South America and which will be at the heart of the fashion of wearing black in upper-class 19th century). In the 13th century, Marco Polo writes about his excitement of discovering how the brazil wood grows in his explorations of SE-Asia. Brazil, when talking about sappan, is truly a medieval dye in Europe!
Some time ago, I came accross the information that it wasn’t available any more beacuse the species was endangered and protected, but after checking the IUNC and CITES database, the plant is not considered threatened (whether brazilwood C. echinata is in Appendix II of CITES convention, meaning that it is under surveillance and subject to trade reglementation).

Le Brésil, colonisé par les Portugais aurait du s’appeler « Terra de Vera Cruz » (Pays de la véritable croix), mais on lui a préféré le nom de Brésil en découvrant là-bas un bois qui donnait des teintes aussi recherchées et vives que le bois de braise qu’on connaissait et utilisait déjà! Les ecclésiastiques étaient loin d’être ravis, forcément, qu’on préfère « un bloc de bois à la Sainte Croix, une teinture rouge au sang du Christ » (auteur anonyme, cité par D. Cardon dans « Le Monde des teintures naturelles »)

The country Brazil, colonized by the Portuguese should have been named « Terra de Vera Cruz » (the land of the true cross), but Brazil was preferred because of the discovery of a wood that produced shades as sought after as the already known and used Brazilwood! The clergy was less than amused, of course, that « a block of wood instead of the Holy Cross, a blood red dye instead of Christ’s blood » was preferred (anonymous author, quoted by D. Cardon in « Natural Dyes »)

Mais revenons à notre fameux sappan! Il s’agit d’une teinture puissante issue du bois de cœur de l’arbre. On l’utilisait en copeaux ou réduit en poudre grossière. Les recettes qui sont arrivées jusqu’à nous concordent souvent sur plusieurs points: la nécessité d’une macération suivie d’une longue décoction (ce qui est le cas pour beaucoup de bois tinctoriaux), mais aussi un temps de mûrissement de la décoction. La braziline s’oxyde en braziléine, donnant un rouge profond, ce qui explique les recettes dans lesquelles on laisse reposer/fermenter le brésil pendant plusieurs semaines.

Let’s go back to our sappan! It’s a powerful dyestuff that comes from the heartwood of the tree. It was used as flakes or ground. Historical recipes exist and are often consistent on several details: the necessity of a maceration followed by a long decoction (which is the case for many dye woods), but also resting or « riping » time, up to several weeks. Brazilin is oxidized into brazilein, giving a deep red, which probably explains the recipes asking for a time to rest/ferment.

Le problème de ce brésil, c’est son manque de solidité à la lumière, alors qu’il est très résistant aux lavages. De nombreuses références à son utilisation (citées dans D. Cardon « le monde des teintures naturelles ») se retrouvent notamment dans des textes de Douai de 1250 et le fameux manuel florentin « Arte de la Seta » du XVème siècle. On y trouve notamment le sappan comme moyen de « roser » la garance ou imiter la très onéreuse teinture au kermès. En Italie, les recettes de « paonazzo » utilisent le sappan: les paonacées sont des teintures en violet, avec beaucoup de nuances différentes possibles réalisées notamment en plongeant des teintures au sappan dans de faibles cuves de pastel ou en teintant au sappan sur un « pied » de pastel.

The problem of sappan is its low light-fastness, whether its wash-fastness is very good. A lot of references for its use (D. Cardon « Natural Dyes » again) are found for example in texts from Douai (1250) and the famous Florentine « Arte de la seta, from the 15th century. Sappan is used to give a pink tinge to madder dyes or to imitate the very expensive kermes dye. In Italy, recipes for « paonazzo » use sappan wood, these are purple dyes with many possible shades, over-dyeing sappan with weak woad vats or dyeing with sappan over a woad dye.

J’avais acheté de la poudre de sappan à mon fournisseur indien d’indigo par curiosité il y a pas mal de temps déjà et je l’avais testé une seule fois, sur un échantillon de soie tissée main. J’avais obtenu un rose magnifique (nuance proche du « rose framboise » selon le nuancier RAL) avec environ 40-50% de matière, ce qui n’était pas assez, et j’avais pu constater la faible résistance à la lumière de cette teinture utilisée pure…

I had bought some sappan wood powder some time ago from my Indian indigo provider, out of curiosity and tested it only once, on a piece of handwoven silk. I got a really nice pink (close to a « strawberry silk » according to the RAL shade) with about 40-50% of sappan and I was able to see the poor lightfastness of the dye used alone indeed!

Le petit échantillon a un peu pâli de partout, il est dans mon atelier pédagogique sur les teintures historiques, donc ils se balade et reste parfois au soleil! La partie vraiment pâle a été exposée au soleil derrière une vitre plein Sud pendant 2 mois, il ne reste pratiquement plus rien du beau rose framboise sappan!

The little sample faded all over, it’s part of my demo kit with which I show some natural colors, so it travels around and stays in the sun sometimes! The faded part was exposed behind a window facing south for 2 months!

L’été dernier, on m’a demandé si je pouvais essayer de faire de la paonacée sur du taffetas de soie… C’était l’occasion de tester davantage ce fameux bois! J’ai donc essayé de teindre du taffetas de soie. Je dis essayer, car les résultats sont loin d’être bons. Le taffetas, un tissage de soie extrêmement dense semble assez réfractaire aux teintures… J’ai testé plusieurs traitements de pré-teinture et des mordançages variés, alun seul ou alun+crème de tartre. Voici les résultats, sachant que l’échantillon orange a été teinté avec pas moins de 300% de bonne garance racine, autant dire que sur une autre soie on aurait eu un rouge profond! Les violets ont été teintés au sappan (100%) et ensuite au pastel dans une cuve de faible concentration. J’ai racheté deux autres taffetas pour voir si j’arrive à les teindre ou si réellement, cette qualité de soie ne se teinte pas bien… Rendez-vous cet été pour les résultats!
Si quelqu’un a des pistes sur la teinture/tissage du taffetas de soie médiéval, je suis preneuse! Peut-être que la teinture se faisait en fils et pas en pièces tissées?

Last Summer, I have been asked if I coul try to make « paonazzo » on silk taffeta… It was the oppurtnity to experiment with the sappan wood again and so I tried to due some taffeta. I say « try » because results were far from satisfying… Taffeta is a very dense weave and seems really hard to dye with natural dyes… I tested a few pre-dye treatments and a few mordants, alum only or alum with cream of tartar. Here are the results, knowing that the orange sample was dyed with no less than 300% of good madder roots, so we should have obtained a deep red on another silk! Purples were dyed with sappan wood (100%) and then with woad in a weak vat. I bought two more types of taffeta to see if I manage to dye the stuff or if iy’s really this quality of silk that doesn’t get dyed well… Planning on doing that this Summer!
If someone has sources or clues about the dyeing/weaving of medieval taffeta, I would be happy to know! Maybe the silk was dyed first and then woven?

Il était temps de retenter le bois de sappan sur une autre soie, histoire d’obtenir une teinture plus concluante que sur ce satané taffetas! J’ai donc préparé mon sappan avec une décoction de 3h, puis laissé reposer plusieurs semaines. Une teinture à 100% sur un sergé de soie a enfin donné une couleur absolument magique, d’une profondeur assez incroyable je dois dire, qu’on n’obtient sur soie qu’avec un savant dosage de garance et de cochenille. Je n’ai utilisé que le liquide de la décoction pour cette pièce!

It was time to try sappanwood again on another silk, I wanted to see what could be possible on a silk that was not this damned taffeta! I prepared the wood by boiling it for 3 hours, then I left it alone for a few weeks. A dye with 100% of sappan on a silk twill gave an incredibly deep color that you can usually only get with a well-dosed mix of madder and cochineal. I only used the liquid of the decoction for this piece!

On obtient sur ce sergé de soie une teinte qui est entre le « rouge rubis » (RAL 3003) et le « rouge pourpre » (RAL 3004), mais franchement l’image ne rend pas justice à cette couleur!

On the silk twill, the colors is between « ruby red » (RAL 3003) and « purple red » (RAL 3004), but the picture really doesn’t show the real thing!

Une mousseline de soie teintée le jour suivant dans le même bain a pris une belle teinte rose (vous l’avez vue en train de faire de la magie sur mon fil à linge dans l’un de mes derniers articles!), mais un coloris avec moins de vivacité. Je l’ai re-teintée dans une cuve d’indigo (n’ayant pas de cuve de pastel prête à fonctionner pour le moment) pour un violet. C’est un test…

A silk mousseline was dyed the next day in the same dyebath and I got a nice pink, less lively than the first bath (you’ve seen doing magic tricks on my clothesline in one of my previous article). I’ve dyed it in my indigo fermentation vat for a purple, as I don’t have any woad vat going for the moment. It’s a test…

J’ai également teinté des fils de soie avec le bain de sappan, auquel j’ai ajouté le reste de la décoction, poudre de bois comprise, et j’ai obtenu ces teintes de rose profondes.

I alos dyed some silk threads with the sappan dye bath, I added the rest of the decoction, wood powder included, to the bath. I got these nice deep pinks.

Il me reste encore pas mal d’expérimentations à faire pour apprivoiser cette teinture et mieux la comprendre. Je n’utilise pas beaucoup de plantes différentes car je préfère connaître à fond celles que j’utilise plutôt que de m’éparpiller (ce que j’ai fait avec bonheur à mes débuts, ça fait partie de l’apprentissage des teintures!). Vu que je me concentre sur les teintures utilisées avant le XVème siècle, je ne peux décemment pas passer à côté du sappan, mais je dois encore passer de nombreuses heures en sa compagnie, tester différentes procédures, différentes sur-teintures et bien sûr l’essayer sur de la laine.
Affaire à suivre!

I have a lot of experimentations left to tame this dye and know it better. I don’t use a lot of different plants because I prefer to know those I use intimately rather that dye with many different products (I did that when I began dyeing of course, it’s part of the learning process!). As I focus on dyes from before the 15th centuty, i couldn’t just walk past sappan wood, but I still have to spend many hours working with it, testing different procedures on different fibres, like wool and experimenting with double dyes.
To be continued!

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Un commentaire pour Brésil médiéval – Medieval Brazil

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